Détails techniques
Bien
qu'une Éolienne Bollée semble compliquée, comparée
à un moulin à vent traditionnel de Beauce, le fonctionnement en
est assez simple. Le vent traverse les déflecteurs statiques pour faire
ensuite tourner le rotor, actionnant les pompes par une transmission à
engrenages. Le secret du succès réside dans un petit rotor de
pivotement (connu familièrement sous le nom de 'papillon orienteur')
qui positionne la turbine dans le sens du vent. Ce papillon pivote sur son axe
pour placer la turbine hors du vent si les rafales deviennent violentes, et
peut même pivoter assez loin pour engager un verrou à ressort.
A ce moment, la turbine est perpendiculaire au sens du vent et le pompage cesse
jusqu'à ce qu'un opérateur monte les escaliers pour libérer
le verrou.
Les Eoliennes Bollée n'étaient pas particulièrement puissantes,
fournissant rarement plus de 3cv au maximum. Pourtant l'attention portée
aux détails, une bonne exécution et une construction robuste leur
permettaient de pomper l'eau à des profondeurs de 100 mètres et
plus. Dès 1888, plus de 140 Éoliennes Bollée avaient été
érigées. Excepté une machine à Saint-Germain-sur-Avre,
qui a alimenté les fontaines publiques en eau, presque toutes ont servi
les intérêts de clients privés.
La première vente a été signée en 1872 avec le vicomte
Jacques de Rougé, propriétaire du Château des Rues à
Chenillé-Changé (Maine et Loire) ; une autre machine a été
acquise par Étienne Bouvet, fondateur des caves de Moc-Baril à
Saint-Florent (Saumur), une des plus grandes sociétés d'embouteillage
de vin pétillant dans le monde ; et une autre a été commandée
par Alfred Dauprat du Château du Breuil, près de Chédigny
(Indre et Loire). Dauprat avait fait fortune en travaillant pour Ferdinand de
Lesseps, constructeur du canal de Suez, il se vantait de compter Gustave Eiffel
parmi ses nombreux amis influents.
En 1898, Auguste-Sylvain Bollée vendit son affaire de turbines à
vent à Édouard-Émile Lebert - sept ans après qu'Ernest-Sylvain
fut mortellement blessé par un tramway à cheval - et se retira
dans un appartement à Paris pour se consacrer à la peinture. Lebert
se concentra sur les ventes aux communes touchées par la sécheresse
telles que Cruzy-le-Chatel et Épuisay, préférant les pylônes
élevés aux colonnes élégantes, jusqu'à ce
que la première guerre mondiale n'interrompe la production.
Ci-dessus
: La Mairie du village d'Arthonnay
dans le département de l'Yonne, à côté de laquelle
on aperçoit une éolienne Lebert N°1 (construite en 1899) et
son local des pompes. Le sous sol du bâtiment servit initialement de lavoir.
Il fut ensuite fermé quand un second étage fut ajouté à
l'édifice dans l'entre-deux guerres. D'après une carte postale
de la collection de J. Kenneth Major.
Les Éoliennes Bollée d'avant 1914 existaient en trois tailles,
de diamètres 2,5, 3,5 ou 5 mètres. La construction modulaire leur
permettait d'être érigées par un monteur et quelques travailleurs,
les pièces étant livrées par chemin de fer et charrettes
à cheval. Cependant, comme la conception des bâtiments était
laissée à l'initiative des entrepreneurs locaux, le local de la
pompe et éventuellement les bassins couverts (lavoirs communaux) allaient
du simple abri de tôle ondulée jusqu'à des sortes de châteaux
en miniature.
La société continua à travailler après la première
guerre mondiale, mais il s'agissait plus souvent de réparer les machines
existantes que d'en ériger de nouvelles. Lebert transmit ses affaires
à Gaston Duplay, qui était vraisemblablement son beau-frère,
puis ce fut la SAEB qui lui succéda. Seul un petit nombre d'Éoliennes
Bollée date d'après-guerre : le seul exemplaire encore visible
est une numéro 2, érigée en 1926/27, sur un vieux pylône
dans le jardin potager du Château de La Fredonnière, commune du
Temple (Loir et Cher).
Le brevet de la turbine à vent fut déposé en France en
1868 par Ernest-Sylvain Bollée, un ingénieur et constructeur hydraulicien,
mais aucune machine de ce modèle original ne subsiste aujourd'hui, si
bien que l'on pense que seul un prototype - peut-être un grand modèle
- fut jamais construit. Des essais auraient incontestablement montré
le besoin d'améliorations, alors que les changements les plus importants
ont été réalisés au moment où la production
débuta.
L'inefficace gouvernail arrière fut remplacé par une petite hélice,
le Papillon de mise au vent ou Papillon orienteur, placé devant la turbine
; l'arbre moteur et ses paliers furent enfermés dans la colonne centrale
; cette colonne de fonte en plusieurs tronçons fut consolidée
par l'adjonction d'un escalier en spirale, donnant accès au sommet ;
et la seule conception de la turbine fut grandement épurée.
Aucune autre trace de perfectionnement n'a été aujourd'hui retrouvée,
excepté " l'entonnoir à vent " d'Auguste Bollée
en 1885, mais cela est peut-être simplement du aux bizarreries de la loi
française sur les brevets d'invention et au fait que le brevet de 1868
mettra encore onze années à s'appliquer avant que ne débute
la production des éoliennes Bollée.
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Ci-dessus: Un dessin du modèle original breveté en 1868 attribué à Ernest-Sylvain Bollée. Aucune éolienne ne semble avoir été construite suivant ce plan.
Ci-dessus à droite : Un dessin du modèle breveté en 1885 attribué à Auguste Bollée pour déposer le système d'entonnoir à vent.
Les éoliennes Bollée furent fabriquées par seulement quatre constructeurs, lesquels se sont succédés de façon continue. Les premiers modèles ont été réalisés par la famille Bollée - Ernest-Sylvain et Auguste - jusqu'à ce que ce dernier vendît son affaire à Edouard-Emile Lebert le 1er février 1898. Par conséquent, les machines antérieures à 1898 sont estampillées Eoliennes Bollée, tandis qu'après 1898, elles sont l'uvre de Lebert. Toutefois, il existe des preuves indirectes que Lebert apposa sa plaque sur des éoliennes antérieures à 1898, lors d'opérations d'entretien de routine ou de réparations occasionnelles.
L'activité se poursuivit jusqu'à la Première Guerre Mondiale, où beaucoup d'ouvriers partirent au front ; un rapport sur l'industrie du Mans, daté de 1917, indique que seul " l'effort de guerre " était prioritaire à cette époque. Après guerre, Lebert passa le relais (on ne sait pas s'il disparut ou s'il prit simplement sa retraite) à Gaston Duplay, qui continua le commerce. On sait maintenant que l'éolienne Bollée située sur les terres du Château de La Fredonnière a été construite en 1926-27, et, bien que les affaires de Duplay cessèrent dans les premiers jours de 1926 - la Société Anonyme des Éoliennes Bollée ('SAEB') lui succédant - il fut néanmoins responsable de l'installation de La Fredonnière.
La SAEB ne construisit que quelques machines, y compris au moins deux exemplaires dotés d'énormes turbines de 7m de diamètre érigées l'une dans le Pas-de-Calais et l'autre dans l'Yonne, on suppose que les installations cessèrent vers 1931 ; toute construction ayant été stoppée quand la Seconde Guerre Mondiale commença.
Les turbines étaient fabriquées initialement en trois tailles : Numéros 1,2 et 3, avec des rotors de respectivement 2,5m, 3,5m et 5m de diamètre. Le modèle N°2 fut le plus en vogue avant 1900, représentant environ la moitié des ventes, mais le modèle de 5m fut préféré par les communes acheteuses du début du vingtième siècle. Les pompes furent aussi standardisées. Un catalogue publié en 1902 par Lebert présente sept modèles, avec des diamètres de pistons allant de 33 à 120 mm, leur capacité d'élévation d'eau par heure (avec pour hypothèse un vent constant de 6 m/sec et une hauteur de 25 m) étant estimée à 650 litres pour la turbine N°1, 1500 litres pour la N°2 et 3600 litres pour le modèle de base N°3.
Quelques exemplaires d'une machine "N°4" avec un rotor de 7 m de diamètre, furent construits dans les années 1920. Au moins deux d'entre-elles furent installées dans le Pas-de-Calais par La Société Anonyme des Éoliennes Bollée, mais leur sort (et celui des autres machines identiques) reste inconnu.
L'élégante colonne de fer élancée fut préférée par Auguste Bollée et ses clients aristocrates, et le débat est encore posé pour savoir si des pylônes à treillis quadrangulaire furent fabriqués antérieurement au transfert de l'affaire à Lebert en 1898. Quelques éléments suggèrent que Bollée n'a jamais apprécié ces pylônes disgracieux.
Les colonnes nécessitaient d'être haubanées contrairement aux tours en treillis, mais les marches de l'escalier en spirale pouvaient être directement fixées à " la colonne vertébrale " centrale, fournissant une solution compacte et esthétiquement plaisante, et la hauteur pouvait être ajustée simplement en ajoutant un autre tronçon. De plus, la colonne protégeait l'arbre moteur et ses paliers du vent et de la pluie.
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Ci-dessus: L'Éolienne Bollée
originale était munie d'un escalier en spirale enroulé autour
de sa colonne centrale. Les machines de ce type furent très populaires
jusqu'à ce que Lebert achète l'entreprise en 1898. Cliché
pris par John Walter en Septembre 2000.
Ci-dessus à droite : L'Éolienne Bollée de type pylône,
visible ici à Courville (érigée en 1902), devint de plus
en plus populaire quand les intérêts privés cédèrent
la place aux acquisitions communales après 1900. Cliché pris
par John Walter en Avril 2001.
Les
pompes étaient placées dans des constructions qui pouvaient aller
du simple abri couvert en tôle ondulée, ou de la modeste rotonde
jusqu'à l'incroyable tour à créneaux incluant une éolienne
à colonne à Le Clône à Pons-Gemozac (fabriquée
à ce qu'il paraît avec les ruines de deux moulins à vent)
ou le château miniature dans le parc du Château de Chaalis à
Pomponne. De quelque manière que ce soit, des documents retrouvés
dans les archives de communes comme à Dolus-le-Sec, Epuisay ou Herbault
montrent que la construction des infrastructures était laissée
à l'initiative des entrepreneurs individuels engagés par le client.
Ce procédé s'étendait à la réalisation des
lavoirs, des ouvrages annexes, et même à l'embase et aux ancrages
de l'éolienne. Le client était aussi responsable de l'acheminement
des composants de l'Éolienne de la gare de chemins de fer la plus proche
jusqu'à son site d'implantation ! Que ce soit Bollée, Lebert,
Duplay ou la SAEB, tous envoyaient un monteur (habituellement accompagné
d'un assistant) pour diriger la construction de la machine et s'assurer qu'elle
soit installée en ordre de marche.
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Ci-dessus: le local des pompes de l'Éolienne
N°2 installée en 1882 dans le parc du Château Bouvay-Ladubay,
dans la banlieue de Saumur, est doté d'un intéressant toit à
pans arrondis. Bien qu'une construction moderne ait remplacé le bâtiment
initial, détruit dans les années 1980, celle-ci est censée
avoir été reconstruite conformément à l'original.
Pourtant, les dimensions - et en particulier la hauteur des murs de la chambre
des pompes - sont mises en doute. Cliché pris par John Walter en Mai
2002.
Ci-dessus à droite : le réservoir d'eau du Château
Les Clairbaudières, dans les environs du village de Paizay-le-Sec, fut
construit sur une originale embase à deux étages. On pense que
l'idée initiale était de le faire ressembler à un ancien
pigeonnier. Cliché pris par John Walter en Mai 2002.